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LÉGENDES
ORALES &
LÉGENDES ÉLECTRONIQUES
Le Village : Vous êtes le concepteur de Yanickd.com, un magazine
électronique qui traite à plusieurs reprises du phénomène des légendes
urbaines. Quels sont vos intérêts
en référence aux légendes urbaines ?
Y. D.
: « Je m'intéresse aux rumeurs électroniques, mais
également à d'autres phénomène, tel le patriotisme, la foi, la
peur,
les superstitions, les préjugés, les mythes, la pression sociale ; tous ces phénomènes
qui poussent l'esprit humain vers l'irrationnel.

Je tente aussi de souligner que les frontières entre l’actualité,
le divertissement et la promotion ne sont plus très nettes, surtout depuis la venue des médias électroniques. Il est
maintenant crucial d’avoir un sens critique très développé, de
pouvoir juger de la valeur des informations proposées par les
mass-médias.

Aujourd'hui, il n'est plus pertinent de se demander si la
nouvelle qu'on nous propose est véridique ou pas; il n'est plus
possible de s'en assurer. Maintenant il est
crucial de se demander, systématiquement, à qui peut bien profiter la
nouvelle ?

Est-ce
du sensationnalisme qui sert à mousser la popularité d'un média ?
Est-ce une information qui sert à faire la
promotion d’une personnalité publique, d'une politique ou d'une cause sociale ? Sert-elle à discréditer quelque-chose, à détourner l'attention
ou
encore à modifier un comportement déviant ?
Concernant
la manipulation de la presse, avez-vous un cas concret en mémoire ?
Un cas à la télévision, sans grande incidence, mais qui
en dit long sur l'état des médias au Québec. L'émission de télé-réalité «Occupation
double», sur les ondes de TVA, où des célibataires libidineux
hantaient deux maisons d'un quartier cossue situé à Blainville. Le couple finaliste gagnait la maison de son
choix. La seconde demeure était vendue à un sinistre inconnu par la
production.

Quelques semaines après le dénouement
de l'émission, toujours sur les ondes de TVA, nous apprenions au bulletin de
nouvelles dans un
long reportage totalement insignifiant que toutes les écoles de Blainville
manquaient cruellement de jeunes. Loin d'être un
sujet pertinent, ce tour guidé de la ville de Blainville
ressemblait d'avantage à une vidéo promotionnelle.

Et justement, le lendemain, le lecteur de nouvelle amorçait son
bulletin par cette nouvelle fracassante : la
dernière maison de l'émission «Occupation Double», situé à Blainville,
n'avait toujours pas été vendue. Du grand jounalisme.
Pour revenir
au légendes urbaines, pouvez-vous nous définir véritablement ce qu’est
une légendes urbaines ?
La légende urbaine,
proprement dite, c'est une histoire extraordinaire, apparemment véridique,
souvent inspirée d’un fait divers, qui se propage dans la
population par le "bouche à oreille" ou par le biais des médias.
La légende urbaine est diffusée en toute bonne foi par des gens
sincères et elle est normalement amplifiée et déformée, par chaque
narrateur, afin de rendre le scénario plus crédible dans le contexte où elle
est racontée.

Normalement la légende
urbaine contient une part de superstition, un brin de paranoïa et une petite
morale à la fin. Elle découle souvent d'une peur tapie dans la
population. Par exemple, la peur des nouvelles
technologies, comme les OMG, ou la peur des maladies,
comme les produits infectées par des bactéries mortelles, ou encore la peur des étrangers,
comme la légende de la grand-mère psychopathe.
Pour le
plaisir,
pouvez-vous nous raconter cette dernière légende ?
Oui. Rapidement, c'est une
jeune femme qui retourne à sa voiture dans un stationnement
souterrain. Elle découvre une veille dame dans son automobile, emmitouflée
dans un châle, qui
affirme s’être installée là afin de se cacher d’un rôdeur qui
déambulait dans le stationnement. Toujours craintive, elle demande alors à la jeune
femme de la ramener chez elle. En chemin, cette dernière remarque la
main de la vieille dame, poilue et recouverte d’un tatouage russe.
La jeune fille arrête aussitôt sa voiture en pleine rue, s’élance
à l’extérieur et alerte les policiers. La police découvre alors
dans la voiture le châle, un flacon de chloroforme et un couteau.
C'était un tueur en série déguisé en vieille dame.

Il s’agit d’une légende
qui traite de la peur des étrangers et
des personnes âgées. La morale serait peut-être de ne pas embarquer d’étrangers
dans sa voiture ou encore de ne pas se fier à la «soi-disant»
faiblesse des vieillards, car ils peuvent toujours vous éborgner à
grands coups de canne.
Revenons à Internet,
puisqu'il est question de votre sujet de prédilection. Comment analysez-vous les légendes
urbaines sur Internet, par rapport à celles véhiculées oralement ?
La différence majeure, contrairement
au bouche à oreille qui est très lent, la légende électronique se propage de façon
exponentielle par courriel. Une autre différence, la légende sur Internet n’évolue guère en raison des
«copier-coller» et de la fonction «Répondre» de la messagerie
électronique. Elle se transmet donc ordinairement sans qu’elle change d’un iota. Ce qui lui donne un certain aspect
de véracité. D'ailleurs, elle est souvent présentée comme étant un
communiqué officiel. Si la légende orale prétend que c'est arrivé à un ami d’un
ami, sur Internet, on affirmera
que la source est une agence gouvernementale ou une compagnie
importante.
Ces légendes urbaines
sont-elles différentes que celles qui se propagent oralement ?
Non pas nécessairement. Ce
sont souvent les même
vieilles légendes urbaines, qu’on a déjà véhiculées oralement
mainte et mainte fois. Dernièrement un courriel,
soit disant envoyée par la Gendarmerie Royale du Canada, racontait qu’il était possible de
tomber sur des aiguilles infectées du virus du sida dans les sièges
de cinéma. Il s’agit d’une version moderne d’une
rumeur datant de 1912. À l’époque, on parlait d'aiguilles
empoisonnées, dissimulées dans les fiacres et dans les tramways. Il existe
toutefois des légendes qui sont
spécifiques au Web, comme les documents photographiques trafiqués
par ordinateur et les annonces de (faux) virus.

EXEMPLE
D'UN FAUX DOCUMENT PHOTOGRAPHIQUE
Selon vous d’où partent
toutes ces rumeurs ?
Sur Internet, il est
possible de classer les rumeurs en différentes catégories
bien définies. Il existent des origines propres à chacune de ces
catégories, mais d'une façon sommaire, il y a les "Rumorazzis"; un néologisme qui désigne les amateurs et les concepteurs de
rumeurs et de conspirations. Ces derniers sévissent normalement sur les forums de
discussion.

Il y a également la mercatique virale ou «le
buzz marketing»,
soit des publicités déguisées, des rumeurs conçues par des firmes de communication. Il
peut y avoir aussi quelques vendettas
personnelles, d'anciens employés se sont déjà vengés d'une compagnie en
colportant de fausses vérités. Il existe également bon nombre de légendes
qui tirent leurs origines de mouvement sectaires, politiques ou
religieux.

Enfin, il y a tout bonnement ces gens
crédules qui croient dur comme fer à une légende et qui la propagent en toute bonne fois
sur le réseau.
Vous disiez
qu'il y avait des catégories bien distinctes de rumeurs
électroniques.
Pouvez-vous nous les citer plus en détails et
nous les expliquer ?
Oui. si je ne tiens pas
compte des légendes urbaines classiques, comme ces fameux alligators
dans les égouts de New-York, je dénombre au moins six (6) types de rumeurs électroniques :
Les alertes
aux faux virus, comme Kali, Phantom Menace, California
ou
Wobbler. Elles se présentent toujours ainsi : On annonce qu’il
s’agit d’un communiqué provenant d’une source fiable, comme
Microsoft ou IBM. Généralement, c'est le pire virus conçu à ce jour et on affirme qu'il n’y a pas d’antidote connu.
Finalement, et le plus important, on demande de passer le mot; car l'auteur désire que sa chimère fasse le plus de
bruit possible.

Un conseil, ignorez les alertes qui ne se sont pas affichées d'abord sur les
sites officiels des compagnies d'anti-virus. Ce sont normalement les
premiers informés.
La
chaîne de lettres. Elle sert souvent à
vous vendre une salade spirituelle quelconque. Elle est produite par un
exalté qui vous invite à suivre une certaine
philosophie de vie, par exemple à prier les anges ou à manger végétarien,
à défaut de quoi vous serez victime d’une malédiction. Ces
messages
se propagent grâce à la peur qu’elles suscitent, grâce à la
superstition.
Les
fausses pétitions. Il est question en fait d'une
mutation de la chaîne de lettres classique. Elle est aussi conçue à
des fins moralistes. Je me rappelle d'une pétition afin d'empêcher la sortie d’un film sur la vie de Jésus, un film
où les apôtres étaient homosexuels. Ce film n'a jamais été
réellement envisagé. En fait, c'est une légende qui date
des années 80. Elle origine d’un mouvement sectaire américain qui désirait, par le biais de
cette pétition, éveiller la ferveur chrétienne.

Aussi, la pétition électronique vous invite souvent à envoyer un message
de protestation à une adresse précise ou à remplir un quelconque
formulaire d'inscription. D'ordinaire, le but véritable de ces
pétitions est de connaître votre adresse électronique afin de vous expédier
de la publicité non sollicitée (spam ou pourriel). C'est également le cas de
plusieurs sites dédiés aux sondages électroniques.

Gardez à l'esprit que la pétition électronique
ne possède toujours pas de valeur légale.
La pub déguisée.
Un exemple amusant. Un courriel affirmait que le FBI possédait
la photographie de 70% de la population des pays du G7. (-ouf!) L’auteur de ce message affirmait
être parvenu à pirater les serveurs du FBI et disait présenter les dites photos à
un lien Internet qu'il fournissait à la fin de son message. Évidemment l’adresse en question menait à un site d’humour et il
s’agissait d’un canular. Un fait étonnant, quoique l'imposture
ait été dévoilée clairement, la légende se retrouve encore sur certains babillards électroniques,
des gens y croient toujours.
La
rumeur piégée. Il s’agit
d’une rumeur qui a déjà fait le tour de la planète par courrier
électronique,
comme une pétition ou une alerte aux faux-virus,
qu’un pirate intercepte et qu’il remet en circulation après y
avoir ajouté un véritable virus. ( NOTE
1 )
La
désinformation. Il s’agit de légendes urbaines qui
servent souvent à se venger de quelqu’un, d'une politique ou d’une compagnie. Par exemple,
un anti-sudorifique précis donnerait le cancer du sein. Une marque de
banane véhiculerait la bactérie mangeuse de chaire. Dernièrement,
suite à la hausse du prix du pétrole, un message électronique
appelait à boycotter une compagnie de pétrole en y exposant un faux
scandale de pollution. Dans un cas célèbre, celui du champagne Veuve
Cliquot, un message électronique affirmait que si vous expédiez un
message à une certaine adresse électronique, la compagnie vous envoyait aussitôt une bouteille de Champagne
sans frais. En réalité, c'était bien l’adresse
électronique d’une responsable de la compagnie, mais le but du
message était d’inonder cette dernière sous les courriers
électroniques.
Revenons
finalement à votre site, plus précisément au Spécial
Subliminal. On peut y découvrir une panoplie de légendes
concernant des groupes rock. Vous faites aussi mention de messages
subliminaux qui seraient camouflés dans la musique ou simplement sur
des pochettes de disque. Croyez vous à ces rumeurs ? Dans quel but
les diffusez-vous ?
Le graphisme des albums rock
n'a rien de bien sorcier. Ce sont simplement des œuvres artistiques produites par des
illustrateurs; des artistes qui s’amusent avec
l’image, comme l’aurait fait Dali ou Magritte. En ce qui attrait aux
messages inversés dans la musique, cela me semblent souvent tirés par les cheveux.
Dans la plupart des cas, j'associe cela à des "mirages"
auditifs. Il peut arriver qu’un message
subliminal ait été conçu de façon préméditée, mais je crois que
c’est
franchement rare.

Puis, pour ce qui est du
subliminal, il faut garder à l'esprit que son efficacité n'a jamais
été prouvé scientifiquement. C'est un sujet totalement bidon,
le summum de la légende urbaine.
[
FIN DE L'ENTREVUE - avril 2004 ]

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